jeudi 19 décembre 2024

106 - Mon fauteuil de lune

Mon fauteuil en osier est vieux, humble, vaste.
 
Usé, démodé, grinçant, il ne vaut rien et pourtant c'est mon bien le plus précieux en ce monde.
 
Il me sert de poste d'observation du firmament mais aussi de point d'envol vers mes voyages nocturnes.
 
Le soir je m'y installe comme un chat, enroulé dans une couverture, afin de contempler religieusement la Lune.
 
Etendu sur ce siège suprême en forme de berceau, je regarde la nuit avec ses rêves et ses flammes, ses ombres et ses chimères, ses spectres et ses légendes.
 
Je découvre un autre univers, couché sur mon trône de mendiant, heureux de m'envoler vers l'astre aux cratères pareils à des orbites.
 
A travers la lucarne de ma chambre ouverte sur l'inconnu, les étoiles et les chauves-souris entrent chez moi, et c'est la fête sous mon toit ! Les ailes des sombres noctules sont les mêmes que celles des lumineuses galaxies : toutes m'emmènent ailleurs, loin, haut...
 
Porté par le souffle de ces flots célestes, je monte ainsi jusqu'au satellite, toujours assis sur mon ample chaise aux pieds gémissants.
 
Et l'aventure recommence à chaque lunaison : je pars en expédition onirique, chevauchant ma statique monture poétique. J'aborde des rivages infinis, confortablement campé sur mon pégase fait de bois léger. Je vogue verticalement, à la rencontre des hôtes du ciel. Je navigue sur l'océan stellaire en quête de trésors à la mesure de mon âme.
 
Croyez-le ou non, pensez si vous le voulez que je suis fou et que je vous raconte des sornettes, mais moi je vous le dis sans malice : je parcours réellement les étendues cosmiques et me pose régulièrement sur le sol lunaire, rien qu'en m'allongeant sur mon modeste sofa.

Faisant face à la vitre de mon refuge ressemblant à une cellule monacale, bien accroché à ma selle couleur de paille, la tête pleine de vertigineuses fantaisies et de profondes légèretés, je décolle purement et simplement.

VOIR LA VIDEO :

vendredi 29 novembre 2024

105 - Je suis parti dormir sur la Lune

Il est déjà bien tard et je n'arrive toujours pas à trouver le sommeil.
 
Il n'y a rien que du bruit autour de moi et les lampadaires de la ville m'empêchent d'y voir clair dans le firmament : je ne me sens guère à ma place sur ce globe agité où je suis né. Mes pieds ne me portent plus, j'ai besoin d'ailes. Et puis la pesanteur terrestre rend mes rêves décidément trop lourds...
 
C'est décidé, je pars dormir sur la Lune !
 
Pour ce grand voyage onirique, je vais emporter avec moi une botte de foin et quelques fagots. Mais aussi une paire de sabots et un vieux chapeau qui me donneront l'air d'un vagabond des bois.
 
Ca y est, j'y suis. Mes semelles touchent un horizon vertigineux et ma tête atterrit dans un ciel nouveau.
 
Avec soulagement je m'étends sur le sol lunaire pour y regarder tourner la Terre, heureux de passer la nuit loin des hommes, hors de leur atmosphère, proche de moi-même.
 
Etendu dans mon lit de régolithe, bordé de pierres blanches et caressé par des flammes mortes, entouré d'ombres et de cendre, enveloppé de glace et de lumière, je me sens aussi léger qu'une plume et plus heureux que tout !
 
Je me retrouve enfin ailleurs.
 
Et progressivement je ferme les paupières sur un tapis d'impalpables réalités.
 
Le temps d'un songe sans fin, d'un vol à altitude illimitée, d'un délestage démesuré, je deviens un oiseau immortel, un hibou sidéral, un hôte sélénien emporté dans les flots inédits d'une folle liberté !
 
Et j'enlace Morphée, voguant comme un fantôme dans l'espace infini de mon âme assoiffée de poésie...
 
A mon réveil, c'est mon oreiller que j'étreins.

J'ouvre alors les yeux sur ce monde que j'ai quitté la veille et, le coeur encore troublé, jette un regard perdu sur la clarté matinale de ma chambre.

jeudi 3 octobre 2024

104 - Installation sur la Lune

Depuis toujours je rêve de partir m'installer sur la Lune en n'emportant avec moi que l'essentiel : une souche de chêne, des pommes de pin, quelques fagots. Et puis peut-être aussi deux ou trois vieux livres d'images pour ne pas m'ennuyer et une bonne paire de sabots pour faire de belles balades.
 
Juste ce qu'il faut pour être heureux, loin de tout, là-bas sur le sol de cet autre monde.
 
Et passer ainsi une bonne partie de mon temps libre à contempler la Terre de loin, sans plus d'attaches, l'âme aussi légère que les pierres lunaires.
 
Me retrouver seul avec des ombres, des roches et des fantômes dans cet océan figé de régolithe.
 
Me perdre sur des routes sans nom, vers des horizons merveilleux ou effrayants, entre cratères sombres et plaines blanches... M'éloigner des vaines agitations terrestres, couper les ponts avec mes repères natals, prendre mes distances avec les bruits de la planète bleue et fouler ce royaume de mortel silence et de fatale beauté, les pieds couverts de cendre, le coeur débordant de sérénité, le front éclairé par la lueur atténuée du globe d'azur...
 
Demeurer à jamais hors des réalités prosaïques du plancher des bipèdes qui en ce siècle de tous les miracles technologiques ressemblent tellement à des veaux... Ou pire : à des machines.
 
Oui, je souhaiterais rompre avec mes racines de lourdeur et adopter des ailes de papillon pour parcourir ce désert de pure poésie... Ne garder de ma vie de terrien que les souvenirs les meilleurs, n'embarquer sur mon dos que les bagages les plus indispensables, n'emmener avec moi que les choses réellement vitales : de quoi m'asseoir sur un reste d'arbre et faire du feu en lisant des ouvrages de gravures d'Epinal.
 
Telle serait ma plus grande joie de vagabond sidéral.
 
Alors, du fond de mon foyer campagnard, assis au bord de l'âtre, je regarde brûler les boules résineuses mêlées de branches sèches qui crépitent ensemble.

Fasciné par l'humble flamme et ébloui par les étincelles jaillissant de ma cheminée, au coeur de la nuit j'attends l'heure propice pour m'endormir, doucement emporté par mes songes, entouré par la sylve, bercé par le vent, déjà oublié du reste des hommes.

jeudi 25 juillet 2024

103 - Sous la Lune

Sous la Lune je suis seul comme un loup, l'âme lourde, le coeur telle une enclume, et sur ma feuille de papier ma plume pleure ces mots tristes, froids, durs.
 
Parce que, voyez-vous, la lueur mortelle de cette chandelle astrale me rappelle les traits mélancoliques de votre face jadis aimée, vous qui aujourd'hui êtes devenue vieille, laide, presque morte...
 
Vous étiez claire et jeune, vous êtes sombre et ridée.
 
J'étais amoureux de vos beaux yeux, il y a longtemps. Ils sont maintenant deux sinistres orbites sur un crâne terni.Vous souriiez aux petits riens de la vie, vous crachez à présent sur tout.

La rose d'hier s'est transformée en champignon toxique.
 
Sous la ronde Séléné je me retrouve avec mes meilleurs souvenirs de ce que vous fûtes, et je préfère encore contempler la figure glacée de cette grosse pierre au regard figé plutôt que votre trogne putride d'amante avariée qui ne songe plus qu'à confectionner d'affligeants pot-au-feu, ce bonheur dominical désespérant qui est le dernier argument des êtres séniles, avant qu'ils ne sombrent dans la tombe.
 
La flamme qui hante mes nuits demeure l'ultime et immuable amour de mon existence d'esthète, et lorsque vous trépasserez, je croiserai mon alliance d'or avec sa couronne de lumière, afin qu'elle et moi nous soyons unis à jamais dans un serment sacré et indestructible fait de rêves purs  et d'éternel régolithe.

mercredi 14 février 2024

102 - La compagne des esseulés

Les hommes qui veillent dans leur lit enflammé par les rayons lunaires sont habités par une cause qui les dépasse.
 
Cette chose lointaine qu'ils fixent, fascinés qu'ils sont par son mol éclat, ressemble à une âme.
 
La forme qui les hante a une face pareille à une tombe, un front ambigu, des joues pleines, une tête débordante d'ombres et de pensées profondes.
 
Mais elle est aussi auréolée de gloire, embellie d'une mortelle allure, soutenue par des ailes.
 
Telle une fumée blanche.
 
Sous leurs regards troublés, elle devient une bulle dans la nuit, une boule dans la nue, une bille autour du globe, une image qui vogue et vole, erre à heures fixes, monte et déambule, exacte comme une pendule, se dilate et divague, passe et s'efface...
 
Une sorte d'abstraction blonde et morne, mate et froide, haute dans l'éther, loin de la Terre.
 
Mais belle malgré tout.
 
Bien accrochée à son sommet de mystère.
 
Elle à l'aspect d'une enclume légère, d'une plume aux traits de plomb, d'un visage aux airs de pierre, d'un être à la mine de statue...
 
Cette bouille vague qui navigue dans le vide fait naître des rêves de granit.
 
La Lune n'est qu'une ampoule dans le ciel qui n'a pas de coeur, guère de chaleur, aucune valeur, si pauvre et si seule dans son triste azur... Depuis toujours, l'égale d'un caillou sans vie. Pourtant elle se fait aimer des natures simples et sauvages : bergers, vagabonds, mélancoliques, isolés, éplorés.... Et même des loups !
 
Proche des humbles, elle brille surtout dans les yeux des gens ordinaires.
 
Le ballon de la voûte est un astre logé au fond de l'Univers.

C'est-à-dire, tout près des solitaires.