dimanche 30 octobre 2022

79 - Lune de haut vol

La Lune est l'amie des morts, l'alliée des ombres, l'aimée des âmes légères, la lumière des esprits.
 
Elle éclaire les heures amères de la Terre de ses rayons de miel.
 
Et jette des lueurs de doute sur les têtes en l'air qui oublient sa magistrale présence, négligent ses allées et venues, ignorent son influence.
 
Elle ne projette des jours sombres que pour les frileux, les frêles fleurs et les endormis. Mais illumine l'antre des loups, brûle le coeur des rats en joie et enflamme les lyres qui chantent en son  nom !
 
Elle brise encore les prisons névrotiques de sa poésie libératrice.
 
Sa clarté nocturne améliore nos vues sur nous-mêmes, les hommes et le monde : en estompant nos traits grossiers et en allégeant nos vies de leurs semelles de plomb, elle rend plus belles nos faces de mortels et plus douces nos douleurs de lourdauds.
 
Quand elle passe dans la nue, elle attire les regards des êtres assez détachés du plancher des vaches pour daigner s'attarder sur son visage céleste.
 
Mais surtout, inspire des feux sacrés à tout ce qui est paré d'ailes : oiseaux, poètes, enfants, chauve-souris, vieillards, vagabonds, amoureux, moribonds...

Elle est l'éclat secret des poitrines qui battent et des pierres qui rêvent.

samedi 29 octobre 2022

78 - La Lune s'allume

La Lune s'allume dans la nuit et illumine les nues de ses rêves gris.
 
Le globe lunaire vogue dans l'océan nocturne. Mais également, quasi invisible en plein jour, dans la démesure de l'azur, solitaire.
 
Peut-être en quête d'oublie ou d'éternité, qui le saura ?
 
Ses journées sont fades, toutes pareilles, tristes et silencieuses. Mais sa destinée est éclatante : elle porte la flamme du Soleil jusque dans l'ombre de la Terre, éclairant vainement les dormeurs mais apportant de l'espoir aux veilleurs et de la lumière aux égarés des chemins dépourvus de chandelle.
 
Son visage de pierre et de cratères est lourd, mais son vol léger.
 
Elle passe dans le ciel comme un papillon aux ailes sidérales. C'est un astre spécial qui ne ressemble qu'à lui-même, quelle que soit la face qu'il nous montre.
 
Le mystère l'embaume et la mélancolie l'habite.
 
Passages après passages, ce cadavre céleste nous raconte sa morne existence d'étoile éteinte.
 
Et sous nos regards interrogatifs, continue de mener sa vie de mort-né.

Dans son rôle à la fois humble et glorieux de grain de poussière du Cosmos, tournant encore dans l'espace pour des temps infinis.

samedi 22 octobre 2022

77 - Nuit sombre

À minuit passé, on toqua à ma porte.
 
Armé de ma chandelle, j'allais voir qui frappait au seuil de mon foyer à une heure aussi indue.
 
- Qui va là, demandai-je d'une voix hésitante ?
 
- C'est moi Séléné.
 
- Et... que voulez-vous ?
 
- Je viens chercher le gîte.
 
- Comment cela ?
 
- Ouvrez-moi, c'est urgent. J'ai peu de temps. Je vous expliquerai.
 
J'osai le risque de la folie en accueillant chez moi la mystérieuse présence nocturne...
 
Je pensais avoir affaire à une femme, en fait il s'agissait d'un visage de rocaille avec un corps de nébulosité paré d'un voile de poussière. Comme un marbre embaumé de brume, une face énigmatique incarnée dans une statue de sel.
 
L'apparition me fixait de son regard crépusculaire et me dit :
 
- Je me suis égarée dans le noir à travers champs.
 
En effet, je constatais que dehors, les ténèbres étaient inhabituellement denses.
 
Elle reprit :
 
- Figurez-vous que j'ai momentanément perdu la boule. En attendant que la raison me revienne, faites-moi une place dans votre lit. J'ai besoin d'un peu de repos au chaud. Demain à l'aube, je serai déjà partie.
 
C'est ainsi que je partageai ma couche avec ce fantôme sidéral. Et plongeai dans un sommeil lourd, sans rêve.
 
A l'aurore, je me réveillai seul avec à mon côté les draps encore froissés laissés par mon étrange hôte. En sortant, je m'aperçus que la Lune était là, juste au-dessus de mon toit.

Plus tard, j'appris que cette fameuse nuit où je reçus l'extraordinaire visiteuse eut lieu une éclipse totale de l'astre.

mercredi 19 octobre 2022

76 - Soupe de Lune

En octobre la Lune semble mûrir comme une citrouille dans son potager stellaire.
 
Elle suscite en moi des appétits vespéraux pour un bol de flammes aux parfums oniriques.
 
En la voyant grossir tel un fruit de saison dans l'horizon céleste, j'ai envie d'en faire une soupe orangée et sucrée, ainsi qu'on le fait avec les stars de nos jardins qui finissent en potage ou en tartes.
 
Bien que mon dîner soit plus éthéréen que terrestre...
 
Je laisse au commun des mortels la pulpe et la sève des récoltes de l'automne. Moi, je préfère m'abreuver de la clarté de l'astre et me nourrir de ses pierres.
 
Ma faim est poétique avant tout. Et ma soif toute désincarnée. Mon ivresse n'est pas de ce monde. Je veux avaler non des légumes mais de la lumière. M'alimenter non pas de patates mais de beauté. Je ne suis pas intéressé par les trésors horticoles poussant sous nos pieds mais par les rêves qui font pousser des ailes dans le dos.
 
Je vise non pas le sol temporel et ses promesses alimentaires mais les hauteurs éternelles où pourra se déployer mon vol sans fin.
 
Je suis un papillon de l'humus.

En ce mois d'or et de feu aux arbres pleins d'offrandes et de feuilles dorées, je n'ai de regard que pour le globe couleur de miel.

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samedi 15 octobre 2022

75 - Lune-pizza

Par un soir sans pain ni feu rempli de solitude et rongé d'ennui, mon ventre se mit à rêver d'un horizon consistant : un éther composé de trésors aux terrestres saveurs, un cosmos comestible plein d'aliments lumineux, un paysage stellaire proposant une nourriture d'or et de flamme.
 
Bref, un festin de firmament.
 
J'avais une faim de vagabond aux semelles d'enclume : ma tête certes débordait d'étoiles mais ma panse demeurait aussi creuse qu'une cloche.
 
Et je trouvai, à travers le disque lunaire roulant dans l'empyrée, de quoi combler mon appétit d'esthète affamé.
 
Séléné m'apparut, véritablement, telle une pizza tandis que mon corps criait famine.
 
Je la dévorais des yeux, la convoitais comme un énorme gâteau derrière une vitrine. Elle était belle, dorée, chaude... A la place des cratères, je voyais des trous dans du gruyère et sur ses bords je devinais de la mozzarella qui brillait. L'odeur de sa croûte jaune parvenait jusqu'à mes narines et allumait mon âme...
 
L'astre se présentait à moi, en cette heure cruciale du dîner, j'en fus persuadé, avec une face de pâte à l'huile d'olive garnie de délices salés...
 
Enrichie de garnitures éclatantes, plus blonde que jamais avec ses ingrédients précieux, la présence astronomique irradiait d'attraits gastronomiques dans l'espace nocturne.
 
Et je crus vraiment voir le visage d'une "quatre-fromages" au fond d'un four céleste. Je fus émerveillé par l'alléchante apparition.
 
Et bientôt rassasié de beauté, j'en oubliai finalement de satisfaire les nécessités de ma chair et allai me coucher sans rien manger.

Au matin, je rompis mon jeûne avec un cadeau tombé du ciel accompagnant mon café.

La Lune m'avait offert, en effet, un énorme et providentiel croissant.

dimanche 9 octobre 2022

74 - Pleur de Lune

Elle porte une robe de défunte, une couronne de tristesse et se pare d'un masque de lumière. En réalité sa face visible n'est qu'un leurre de pudeur.
 
Quand elle brille, elle se cache pour mieux pleurer dans son ciel de solitude, la Lune.
 
Elle a la couleur de la mélancolie, l'éclat du chagrin, le visage de la misère.
 
Avec ses traits de pierre et ses cratères pleins d'ombre, elle ne songe qu'au malheur.
 
Son front est glacé et de ses joues n'émanent que de plats rayons. Sa flamme n'est qu'apparente : cette torche céleste qu'elle incarne faussement n'est rien qu'une illusion.
 
Sous ses allures de flambeau, l'astre est une tête éteinte aux jours finis qui ne pense plus qu'aux mortelles étreintes de la nuit.

Elle est devenue la reine de la mort et la graine de l'amour.

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