jeudi 26 mai 2022

34 - Folies lunaires

Je prends le chemin de la Lune, la route de l'allègement, la direction de la paix.
 
A deux pas de mes pieds, il y a l'espoir de m'en rapprocher, aussi peu que possible mais de manière certaine. Alors je franchis l'infime distance me séparant de la lointaine flamme et aussitôt, me retrouve... sur la terre ferme, au même endroit où j'étais un instant auparavant.
 
La force de l'imagination ne suffisant visiblement pas pour un voyage aussi complexe, périlleux, incertain, il me reste la possibilité d'observer le satellite à travers des lentilles et ainsi de le toucher d'un regard perçant, sans devoir quitter le sol terrestre.
 
Mais, rongé par le mal de l'économie à tout prix, de l'épargne furieuse, du radinisme de rat, au lieu de m'acheter un télescope, je décide finalement de me coucher sur l'herbe et de l'attendre en pleine nuit comme un rendez-vous gratuit entre deux amoureux.
 
Sauf que cette dame du firmament n'est point éprise de moi. Ce n'est qu'un vaste roc insensible, une grosse pierre sans coeur, une nature morte voguant dans le ciel, et rien de plus.
 
Sa lumière qui, comme une balle de fusil d'opérette, me va droit au front et le gèle d'un bonheur nocturne, est sans vie certes.
 
Mais non sans âme.

Elle répand sa teinte d'or sur le monde. Et ma plume qui s'en abreuve jusqu'à l'ivresse, recrache ces mots d'amour fous sur cette humble feuille de papier noircie de bêtises sans nom mêlées d'idées brillantes.

mercredi 25 mai 2022

33 - Alunir, en un mot

Afin de rejoindre l'objet de mes songes, sur sa terre ferme si je puis dire, je veux parler du satellite couvert de régolithe, cette fois je vais employer le moyen des mots.

Faire usage de ma plume pour poser le pied sur la Lune. 

Un voyage sur le dos de la lyre en somme, tout en légèreté, tel sera le propos de ce que vous allez lire, en prose.

Sans baratin.

Simplement avec des L, des pointes de i droites comme des clous pour mieux fixer les idées filantes qui ne manqueront pas de fuser sous vos yeux. Sans oublier mes grands R tout au long de ces lignes en formes de courbes subtiles, telles des ondes exquises atteignant d'autres mondes. Des caractères minuscules aussi, enrichis d'arabesques verbales, s'alliant si parfaitement avec les capitales qu'elles permettent d'y entrevoir de vastes cratères séléniens.

Bref, un texte écrit de ma dextre à votre seule attention, vous mes lecteurs. Des phrases chargées de bulles, gonflées de folie,  lourdes de sens, tracées sur le papier aérien des esprits fins que vous êtes, vous qui décodez encore ceci...

Tout ça, pour vous livrer un numéro de baladin plein de verve, mais surtout sans vous infliger des vers. J'y tiens. Rien de pompeux dans mon jeu, tout ne sera que brise. Du panache, et non de la fumée. J'y compte bien. Pas d'enclume vous dis-je ! Que de l'azur. Et du pur ! Mon souhait est de vous transporter, de vous charmer, de vous délester de vos communes attractions afin de vous entraîner hors de la sphère terrestre et de sa pesanteur, jusque sur le sol lunaire.

Là, on est loin du but, penserez-vous ?

Détrompez-vous, j'y suis presque. Le trottoir sera déjà mon promontoire.

Pour monter encore un peu et accéder à l'espace, il me suffit juste de me rendre à l'évidence : décoller me coûte, voler me botte. En effet, quitter le plancher des vaches, c'est cher en termes multi syllabiques. Mais rêver tout court, c'est la voie la plus directe pour filer dans les airs, planer au-dessus des nuages, enfin voguer dans l'éther.

Ainsi je bricole et, muni des bonnes lettres, j'ajuste mon discours à la circonstance et prends le parti de partir dans l'onirisme sans m'embarrasser de plus de poids. 

Et debout près d'un égout, les yeux clos, le coeur battant, la semelle dans le caniveau, ma tête se retrouve dans les étoiles.

A la surface de l'astre convoité, plus précisément.

dimanche 22 mai 2022

32 - Lune tiède

Alors que la chaleur de l’été plongeait la campagne dans la torpeur, je sommeillais dans l’herbe à l’ombre d’un arbre, bientôt emporté dans les songes.
 
Tandis que j’étais ainsi étendu sous les ramures, les yeux clos, je reçus la visite de l’astre de la nuit qui venait d’apparaître au-dessus de moi. La sphère était éclatante de beauté, elle brillait tel un feu magistral.
 
Et s’imposait comme un véritable phare dans le ciel.
 
Elle avait remplacé le Soleil. Je ne voyais plus que sa face rayonnante.
 
La Lune avait pris le pouvoir. Devenue reine du jour comme de la nuit, elle triomphait de gloire et, du plus profond de mon sommeil peuplé d’images, je fus heureux de son règne sur Terre et dans l’espace.
 
Je me dis qu’elle allait conquérir tous les coeurs humains et être réhabilitée en tant que souveraine de la poésie.
 
Je fis avec elle un long et étrange voyage dans l’univers mental des rêves.
 
Lorsque je sortis de ma léthargie au crépuscule, elle était là, dans mon champ de vision, en réel. Mais pauvre, fluette, quasi anodine.
 
J’allais perdre mes illusions quand je me rendis compte que là justement résidaient son charme, sa valeur, son essence : enveloppée de son voile de modestie, aussi douce qu’une chandelle.

samedi 21 mai 2022

31 - Globe de rêve

Je connais une entité lointaine à la face de feu et au coeur froid.
 
Elle est morte et recouverte de poussière. Et pourtant elle continue à faire son théâtre, telle une dramaturge hautaine, recluse dans ses hauteurs.
 
Je lui parle et elle me répond de sa superbe indifférence, insensible aux mots d'amour que je lui adresse dès le crépuscule.
 
Je consacre des nuits entières à l'admirer. Elle est belle comme une chandelle, aussi blanche qu'un spectre. Et son regard vague a la douceur des cadavres paisibles.
 
Elle incarne l'étrangeté des rêves éveillés et tout à la fois la banalité des jours qui passent. L'éclat de son visage peut aussi bien refléter l'ennui des heures vides que l'or des instants précieux, tout dépend de la manière que l'on a de la percevoir.
 
Cette chose vaste et magistrale est en même temps commune aux humains. Et même devenue invisible pour eux, à force de tourner en rond dans son royaume, sans jamais varier. Même ses éclipses, rares écarts de conduite, sont sans surprise. Connues à l'avance. Calculées de longue date.
 
Bref, terne ou brillante selon les uns ou les autres, à mes yeux elle compte plus que tous les diamants de la Terre.
 
Cette compagne idéale de mes insomnies, vous l'avez reconnue car il n'y en a qu'une.
 
C'est bien elle, oui. Ce n'est pas Neptune, non. Ni simplement une plume. Encore moins une grosse enclume... Pas même une dune. Et pas plus une importune, puisqu'il s'agit de la vaporeuse, de la claire, de la légère lune.

Qui dans la nue est une bulle.

mercredi 18 mai 2022

30 - L'air de la Lune

Je n'appartiens plus à ce monde.
 
Dès maintenant, je quitte notre planète, corps et âme, pour mon nouvel asile la Lune.
 
Pour ce faire, je vais chevaucher les ailes du rêve. Lesquelles transporteront avantageusement mes idées, ma flamme, ainsi que ma peau, autant que cela peut être possible, dans mes plus poétiques certitudes.
 
Et, par cette ligne directe, me rendre pieds et tête sur le sol sélénien tout en douceur, sûr de moi, bien décidé à oublier les terrestres attractions pour les légèretés du satellite.
 
Je pars respirer un air fait pour moi : plein d'éther, loin de la Terre.
 
Et mon visage, qui est plus qu'une simple image au service de ce texte improbable, s'allumera d'un bonheur nouveau.
 
Là, je luirai telle une chandelle et nul ne sera témoin de mon éclat.
 
Je ferai partie de ces choses trop lointaines, ou trop extraordinaires, pour être être perçues des yeux humains.

Et depuis mon insondable horizon lunaire, je veillerai à préserver ma lumière de votre pesante incrédulité, vous les sombres lourdauds qui préférez rester sur le plancher des vaches, si proches de vos mortelles attaches.

mardi 17 mai 2022

29 - Lune tombale

La Lune m’attire, elle m’attend tout là-haut et moi, de mes ailes de fou, de mes pensées de feu, je la poursuis comme dans un rêve.
 
Lorsque je marche vers cette morte lueur, je vole dans ma tête.
 
Son air est onirique, mes pas sont aériens.
 
Mon coeur solitaire bat pour son visage paisible. Sa face de défunte plaît à mon âme funèbre. Je suis épris de ce cadavre astral qui survole notre monde tel un spectre. Amoureux de ses orbites sépulcrales grandes ouvertes sur le lointain céleste. Ebloui par ses cratères bordés d’ombre. Sous le charme de son sourire mortuaire dans la nuit.
 
Elle ressemble à une stèle dans le ciel, à un gisant dans le firmament, à une sépulture dans l’azur.
 
C’est une tombe qui vagabonde parmi les étoiles. Elle me séduit de son regard de glace auréolée d’un linceul de lumière.

Et je me laisse emporter par l'abstraite visiteuse dans un voyage sans fin de songes, de paix, de silence et d’oubli.

mercredi 4 mai 2022

28 - Quand la Lune panse

J'observais la Lune.
 
C'était au crépuscule, en juin. Il y avait des vipères dans l'herbe et dans une ferme au loin j'entendais l'agonie d'un porc qu'on égorgeait.
 
Des avions zébraient la nue, tandis que des vaches meuglaient paisiblement dans les pâtures. Tout autour de moi je percevais les bruits de couverts et de cuisines à travers les fenêtres ouvertes des maisons.
L'humanité se restaurait, les toits s'aéraient, le soir s'installaient tranquillement sur le monde.
 
Et tout là-haut dans le ciel d'été, l'astre brillait plus que jamais, indifférent au quotidien des bipèdes.
 
Je crois que j'étais le seul dans la contrée à m'attarder sur ce visage mystérieux voguant au-dessus de nos têtes.
 
Des pleurs d'enfants, des aboiements de chiens et des disputes de couples me parvenaient de tous les horizons, ponctués de claquements de portières de voitures et de clameurs de postes de télévisions.
 
Je reçus un caillou sur le front jeté par quelque garnement malicieux. Et je sortis de ma rêverie.
 
Je ne savais pas trop ce que je faisais dans cet univers que je n'avais pas choisi, entouré de gens étranges, triviaux, bêtes et gentils, lumineux et mauvais, aimables et lourds ou bien infects et joyeux...
 
Séléné illuminait la Création de sa lueur souveraine. Ses rayons caressaient mon âme. Et, touché en plein coeur par cette chandelle céleste, je me réconciliais avec ce siècle.

Et posait sur les hommes, sombres ou légers, un regard plein d'amour.