mercredi 31 août 2022

68 - Lune martiale

Quand elle prend la forme d'un bouclier de lumière, la Lune éclate parfois de colère dans la nuit.
 
Sûre de sa cause, elle part alors en guerre contre les indifférents aux semelles de plomb, les lourdauds au coeur borné, les pragmatiques aux bottes hautes et aux vues basses qui ne perçoivent en son disque qu'une source d'inutilité, un point de non intérêt, un objet négligeable, une perte de leur précieuse attention dirigée vers le sol.
 
Elle leur destine la foudre rédemptrice de ses clartés nocturnes les plus tranchantes, les flèches chargées de fiel de ses rayons de miel, le feu cinglant de sa face aussi pâle qu'un létal champignon.
 
Elle jette sur leur front des reflets brûlants de vérité en espérant que ces derniers éclaireront leur âme flasque d'âne en quête de carottes à leur portée.
 
Le globe lunaire, du haut de ses exigences d'astre à part, livre à ces molles consciences d'impitoyables  batailles esthétiques, de féroces combats contre leur inertie poétique. C'est la lutte entre le Beau et leur laideur, le luth qui se mesure à leurs bulldozers.
 
Et Séléné répand inlassablement ses éclats sur la Terre et ses hôtes prosaïques comme autant de flammes sur un désert de chardons.

Tandis qu'elle est là, si évidente et pourtant si invisible, et qu'elle n'a plus assez d'arguments pour convaincre les matérialistes les plus endurcis de sa présence et les forcer à lever les yeux au ciel, elle frappe un grand coup : elle s'éclipse.

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