mercredi 21 décembre 2022

85 - Hauteur de la Lune

Elle est l'ombre et le feu, la flamme et la mort, la lumière et la nuit, le songe et la pierre.
 
Elle vole dans nos rêves, vogue dans l'océan du vide, vaguement humaine avec sa tête simiesque, lointaine avec ses airs astraux, proche à travers ses allures terrestres, aussi tellurique qu'éthéréenne...
 
La Lune est un globe ambigu au visage familier, à la face lumineuse et aux réflexions ténébreuses.
 
Elle est un corps céleste obscur, une gueule ouverte dans le noir et un clin d'oeil dans le ciel en plein jour.
 
Elle s'illumine le soir pour s'éclipser à l'aube, tantôt pleine de pâleur, tantôt à moitié brillante, toujours éclatante de beauté morbide.
 
Dans ses orbites les hommes n'y voient que du flou : son regard d'aérostat pétrifie les fous, réveille les dormeurs, brûle les insomniaques.
 
Et fait braire les ânes que sont les poètes.
 
Tout son esprit est là, précisément : elle tourne, inconditionnelle, indifférente, hautaine et magistrale dans son royaume de solitude et de sommets, beaucoup plus haut que nos vues basses de sombres mortels.

Cette bulle aux yeux globuleux errant maladivement dans les fumées de notre imagination n'en finit pas d'aller et venir entre nos coeurs limités et l'infini de l'espace.

vendredi 16 décembre 2022

84 - Belle Lune

Lorsqu'elle est pleine, ronde, telle une boule d'éther dans l'encre de la nuit, avec son regard de glace, son front mélancolique et son air impénétrable, elle séduit ses élus.
 
C'est-à-dire nous les loups, les sangliers et les hiboux... Nous les égarés de ce siècle, nous qui sommes sortis des chemins balisés, nous qui préférons le vrai à l'artifice.
 
Sa présence est ambiguë, aussi pesante qu'aérienne. Comme une flamme trop douce pour être un feu, trop claire pour se réduire à un rêve.
 
Son globe de cendre et de miel pourrait s'apparenter à une ombre lumineuse ou à un spectre de pierre, à un oeil mort dans le ciel ou à une bulle de silence montant au firmament tout en dégageant un charme inquiétant sur notre Terre.
 
Cette chandelle n'éclaire véritablement que les toits de chaume et les âmes de plomb.
 
La Lune se reflète sur la paille, les tombes et les mares. Et pénètre le fond des êtres inspirés.
 
Elle est faite pour alléger les sabots et tenir compagnie aux solitudes, escorter les vagabonds et réchauffer les moribonds, lustrer les misères et illuminer les veillées funèbres.
 
Les coureurs des bois aux vies chargées de sens, les chantres de la simplicité et les coeurs alourdis de peines apprécient cette intruse mortuaire, ce visage nocturne, cette amie des heures profondes.
 
Pour nous les rats aux gueules de lumière, elle est bien plus qu'une bille qui luit bêtement dans les ténèbres, autre chose qu'une figure pétrifiée de nos insomnies, et quand vient le jour, encore mieux qu'une balle perdue dans l'azur.

A nos yeux, elle est essentiellement, tout bonnement et tout sobrement... belle.

mardi 13 décembre 2022

83 - Salades lunaires

Elle me manque, je l'attends comme j'attendrais une femme que j'aime et qui m'ignore.
 
Je brûle de folle poésie pour sa lumière de glace et sa face mortuaire, m'enfièvre d'amour pour ses apparitions nocturnes, m'enflamme de désir désincarné pour ses déserts de pierres et ses monts indolents.
 
La Lune que j'adore, qui est tantôt d'or, tantôt d'air, parfois dure, souvent froide mais toujours pleine d'art, qu'elle soit sombre, claire, âpre ou légère, la Lune disais-je, ne passe jamais au-dessus de ma tête sans que j'en sois touché chair et âme.
 
Indifférente à mes émois, elle s'allume le soir, brille la nuit, s'estompe avec le jour et me laisse veuf, désarmé, moi qui l'admire depuis toujours, les pieds dans mon potager, les pensées dans les nuages.
 
Entouré de mes carottes, choux-fleurs et haricots, je m'enracine alors dans mes rêves de conquête lunaire et imagine que je m'envole jusque dans l'éther où séjourne ma bien-aimée.
 
Et, les semelles bien posées sur la terre de mon jardinet, perdu dans mes rêveries de bonheur immatériel, le corps immobile, je la rejoins dans les hauteurs sidérales de mon esprit détaché des lourdeurs de ce monde où je végète en compagnie de mes plantations horticoles.

Et c'est ainsi que l'on me retrouve de temps à autre étendu entre mes sillons jusque midi, le visage dans les légumes, hagard et mélancolique, le regard fixant d'invisibles étoiles.