lundi 19 août 2019

17 - Lune noire

Sous sa face morbide et son regard louche, je file sans mot dire, le pas furtif, les pensées vives, le coeur plein d'interrogations, à la fois inquiet et fasciné par sa présence spectrale dans la nuit.

Je fixe son visage de fantôme, elle m'écrase de son air mou et poisseux, me suit comme une ombre avec ses allures lourdes et glauques, et même me juge du haut de son piédestal cauchemardesque.

Elle est loin, elle est froide, elle est là-bas et elle est là telle une intruse dans mon âme.

Elle est triste comme une tombe avec sa lumière cadavérique.

Mais qu'elle est belle, la morte !

J'aime follement ce crâne errant qui brille, ce macchabée céleste, cet astre follet...

Elle n'est pas si nulle, la Lune. Elle est une plume qui plane : elle a le poids des choses qui comptent là-haut.

Dans le ciel nocturne elle écrit des histoires d'enclumes à dormir couché.

Elle est l'amie des oiseaux, des nuages et des cailloux.

Dés qu'elle apparaît, je sors en secret et vole vers ses lèvres de misère pour y déposer mes baisers de marbre.

VOIR LA VIDEO :

https://youtu.be/vOSLuOKrqJg

lundi 5 août 2019

16 - Fièvre d'esthète

J'erre mollement sous la flamme lunaire éclairant la morte campagne tel un cierge au-dessus d'un cimetière.

Le monde en sommeil est hanté par l'énigmatique lueur.

J'entends les murmures plaintifs de la tête nocturne, puis ses pleurs dans mon dos.

La Lune s'ennuie dans la nuit, seule là-haut.

Elle ne sait pas, pauvre pierre froide, malheureuse défunte, triste chose loin de tout, que je l'aime de mon coeur de misanthrope, de mon âme de solitaire, de mon être de glace.

Je sens son regard inquiet, ses pensées pesantes et profondes, ses rêves étranges et incompréhensibles, et je chemine plus léger que jamais en songeant qu'elle est ma seule amie.

Sa lumière sur la peau des hommes les fait ressembler à des cadavres : c'est la compagne idéale qu'il me faut, elle le spectre, moi la tombe.

Mais elle ignore qui je suis. Elle me prend pour un mortel pareil aux autres : indifférent.

Et mon ombre s'allonge sous le front résigné de Séléné au fil de sa chute vers l'horizon.

Alors elle disparaît et, sans le savoir, emporte avec elle mon éternel amour.

VOIR LA VIDEO :

https://youtu.be/Cvytk-mBoiY

15 - Paix sur la Lune

Dans une existence révolue, j’ai habité sur la Lune.
 
Je vivais dans une autre peau, un autre millénaire, un autre monde.
 
Sur un sol lointain, sous un ciel étranger, dans un jardin reclus.
 
Je résidais en cet endroit plein de silence et de mystère, contemplant l’horizon morne et énigmatique. Je m’ennuyais mortellement là-bas, il est vrai. Mais j’y éprouvais aussi de merveilleux sentiments.
 
Je m’interrogeais sans fin, mélancolique, au sujet des étoiles, de la planète bleue, des paysages séléniens figés qui formaient mon quotidien monotone et beau...
 
Je passais de longues journées en promenades lentes et solitaires, entouré des pierres lunaires, observant les ombres changeantes, admirant cratères et vallons, empruntant des chemins qui me menaient vers des roches et des sommets, des espaces de rêves et de poussière, des lieux lumineux et perdus.
 
En réalité je ne me sentais pas seul du tout : les silhouettes de roc autour de moi et le visage azuré dans le firmament formaient d’excellentes compagnies, de jour comme de nuit.
 
Ces spectres paisibles troublaient mon âme. Ils me plongeaient dans de profondes ivresses poétiques. Et je vagabondais dans ce grand désert peuplé d’images, de reflets, de figures vagues, parmi des lignes effacées, des traces disparues.
 
Habité par d’étranges et immobiles présences.
 
Rochers ou fantômes, ces formes amies n’étaient que des statues mais je les aimais comme des poèmes.
 
Et je vécus là, longtemps. Dans l’absence de tout, au coeur de l’océan cosmique, éloigné du réel, bercé par une infinie sérénité.